Le mendiant
J’arbore les couleurs de la misère. C’est le blanc qui devient brun à force d’embrasser la poussière. Une poussière soulevée par les voitures, par des promeneurs dont certains secouent la terre pour un but, maintenir la bonne santé. Pendant que moi je la détruis en parcourant des kilomètres à la ronde, à la recherche d’un but. Que mon estomac joue son rôle. Que mon cœur continue à battre. Que je profite de la fraîcheur du Tanganyika tant qu’à certains endroits, les indésirables comme moi y ont encore accès. Que je profite de la gratuité des rayons de soleil. Que j’entende au loin les tambours battre. Que j’applaudisse à chaque passage du président. Bref, que je feigne de vivre.
J’arbore ce brun de la misère, celui de la poussière dont certains s’en débarrassent aussitôt le matin venu, avec une eau claire et propre pour leurs voitures ou d’un coup de brosse avec un peu cirage pour faire briller leurs souliers. Moi je trempe mes couleurs dans ces rivières boueuses : la Kanyosha, la Muha, la Ntahangwa.
Je serpente les sentiers du quotidien sans laisser de trace tel un oiseau dans le ciel. Je passe inaperçu et pourtant je passe tous les jours au même endroit où je reproduis les mêmes gestes pour qu’un regard me fixe, pour qu’un sourire croise mon front où est écrit « voici le fils de la misère ».
Le monde me rend invisible parce que personne ne veut me voir salir leurs trottoirs, polluer l’air qu’il respire parce que je transpire la souffrance. Je pleure toujours en silence.
Des insolentes larmes brouillent ma vue. J’ai peur d’avancer au risque d’effleurer cet enfant si propre à qui sa mère demande d’avancer rapidement parce que je pue tous les vices. Parce que, pour eux, je ne suis qu’un petit voleur.
Ma voix ne se vend pas à prix d’or :
– « Msaada»*
« Kingorongoro »* ma récompense. Je vous chante tous les jours l’hymne de ma nation, de ma patrie : « Ndashonje »*.
*Msaada : aide (swahili)
*Kingorongoro : piece de monnaie (kirundi)
*Ndashonje : J’ai faim (kirundi)
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