Le Burundi n’est pas le Burkina Faso

9 novembre 2014

Le Burundi n’est pas le Burkina Faso

Si les médias et les spécialistes du droit pouvaient s’attarder et mener un débat autour de notre Constitution, je n’aurai pas écrit ceci. J’ai l’impression qu’à chaque fois qu’on parle de mon pays concernant sa Constitution et son Président au niveau international, la question est traitée avec certaines légèretés «… en dépit de la limitation des mandats à deux… » très simple à dire mais qui s’est attardé sur cette constitution ?

Le monde s’est levé un beau matin où le peuple des hommes intègres s’est levé comme un seul homme pour barrer la route aux velléités d’un Président voulant s’octroyer un mandat de plus. Un troisième ? Pas vraiment. Cela fait 27 ans que Blaise Compaoré est au pouvoir et il n’était pas à sa première tentative (deux septennats 1992 à 2005 et deux quinquennats dont le dernier devrait prendre fin en novembre). L’exercice de modification des constitutions semble être son sport favori.

Ce qui s’est passé le 30 octobre 2014 aux pays des hommes intègres s’est avéré être aussi une aubaine pour les populations de certains pays africains. L’exemple burkinabé a été brandi comme une menace aux présidents qui seraient tentés par une aventure de révision constitutionnelle, pour un ou plusieurs autres mandats de plus. Les médias ainsi que certains intellectuels y sont allés de leurs analyses en procédant parfois par des raisonnements analogues.

Le politologue burundais Salathiel Muntunutwiwe déclare à une chaine de télé privée : « le Burundi devrait respecter la constitution pour éviter ce qui s’est passé au Burkina Faso. »
Pour le cas du Burundi, fort malheureusement, il ne s’agit pas d’une question de non-respect de la constitution et moins encore celle de sa révision comme cela était le cas au Burkina Faso. Comme on le sait, la tentative de modifier la constitution burundaise avait échoué. J’étais parmi ces personnes à dire que Nkurunziza n’avait pas besoin de modifier la constitution pour forcer un troisième « mandat », pour plusieurs peut-être. La constitution burundaise elle-même est ambiguë sur la nature du premier mandat. Les détails plus loin. Télécharger ici la constitution de la République du Burundi

Pacifique Nininahazwe, la figure de proue de la société civile burundaise va jusqu’à comparer Pierre Nkurunziza à Blaise Compaoré. Ces analyses susciteront un débat intéressant sur les réseaux sociaux. Une comparaison que j’ai personnellement trouvé un peu plus déplacée. Une partie de son analyse est rapporté par RFI.

Le scénario à la sénégalaise

Je peux tout de même rappeler qu’une partie de la population burundaise prévoyaient un scenario à la sénégalaise « un troisième mandat qui bouterait dehors le briguant par le biais des urnes. » Pour ce qui est du Sénégal, il faut admettre que la réalité juridique était tout autre. Elle veut qu’une loi ne rétroagisse pas sans devoir la stipuler expressément. Ce principe est souvent invoqué pour ce qui est des lois pénales à ma connaissance. Ceci dit, le scénario à la sénégalaise reste encore à la portée des Burundais. Il faut quand même reconnaitre que la constitution burundaise donne place à deux interprétations différente concernant la nature du mandat 2005-2010.

Le Burundi et sa constitution ambiguë ou presque

Parmi les détracteurs de Pierre Nkurunziza, il y a ceux qui avancent que l’exception invoquée à l’article 304 de la constitution n’est qu’une exception en rapport au mode électoral et non une exception par rapport au mandat présidentiel. L’article 304 de la constitution :
« A titre exceptionnel, le premier Président de la République de la période post-transition est élu par l’Assemblée Nationale et le Sénat élus réunis en Congrès, à la majorité des deux tiers des membres. Si cette majorité n’est pas obtenue aux deux premiers tours, il est procédé immédiatement à d’autres tours jusqu’à ce qu’un candidat obtienne le suffrage égal aux deux tiers des membres du Parlement.
En cas de vacance du premier Président de la République de la période post-transition, son successeur est élu selon les mêmes modalités prévues à l’alinéa précédent.

Le Président élu pour la première période post-transition ne peut pas dissoudre le Parlement.»

Pour certains des partisans du président actuel, l’article 304 se suffit à lui-même seul pour renforcer l’idée d’exception (d’abstraction) faite au premier mandat et donc ne pas seulement lié au mode du scrutin. Le premier président post-transition ne peut pas dissoudre le Parlement. A la lecture de l’article 96 de la constitution, le président actuel reste encore éligible quand on sait qu’il a été élu pour la première fois par le parlement.
« Le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une fois »

L’accord d’Arusha

Certains pensent que l’accord d’Arusha a une valeur constitutionnelle. Ce qui est une erreur à mon avis. Ce n’est pas parce que la loi portant promulgation de la constitution fasse référence à l’accord d’Arusha qu’il le devient. Si l’on admet cette donnée cela veut dire que les parties signataires sont tout simplement des personnes supra-Étatiques. Pourquoi supra-Étatiques ? La constitution fait référence au peuple Burundais tandis que le préambule ainsi que les préambules de ses cinq protocoles de l’accord d’Arusha font référence aux parties qui étaient alors belligérantes. Enfin pourquoi avoir fait appel directement au peuple pour l’adoption de la constitution dans ce cas-là ?

Analyse intéressante est à télécharger : L’éligibilité de l’actuel Président de la République du Burundi aux élections présidentielles de 2015 : une analyse juridique par Stef Vandeginste

Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi à télécharger

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Commentaires

Fotso Fonkam
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On peut en effet dire que le Burkina Faso a causé bien des remous en Afrique. Ceci dit, ton analyse de la situation au Burundi est très pertinente (même pour les non-burundais). Bel article, très documenté.

Alain Amrah Horutanga
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Merci ! En fait au Burundi le bouche à oreille fonctionne tellement bien qu'on ne prend pas la peine de s'attarder et de débattre, sur des bases juridiques, de la question touchant aux mandats présidentiels d'où cette documentation.