Le jour où Dieu cligna les yeux

Article : Le jour où Dieu cligna les yeux
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21 octobre 2014

Le jour où Dieu cligna les yeux

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Ceci est un extrait d’une fiction (embryonnaire) inspirée des évènements de l’histoire récente du Burundi. En ce jour de commémoration du 21ieme anniversaire de l’assassinat du président burundais Ndadaye Melchior, j’ai choisi cet extrait. Cette date rappelle aussi les massacres qui ont suivi sa mort.

… Ils étaient aux aguets, attendant un clignement d’yeux du coté de Dieu, La Sentinelle pour mettre en pratique le plan concocté depuis des mois. C’était un secret de polichinelle. Même Johnny, le perroquet du voisin répétait sans cesse la chanson : « À feu ! À sang ! Nous voulons la tête de SE Barundi1». L’hymne des ogres avait remplacé celui de l’unité…

La tension était palpable, largement au-dessus de la moyenne. Les cœurs battaient à la cadence des pas militaires, à la vitesse des « je-m’en-fous »2, au rythme des crépitements de balles, répondant aussi aux détonations des grenades. Les battements cardiaques étaient en parfaite harmonie avec les obus qui passaient au-dessus de nos toits. Aucun oiseau ne chantait ce matin-là. Ils étaient pourtant nombreux à traverser le ciel la veille, dans la soirée. Ils avaient quitté le delta de la Rusizi pour s’abreuvaient ailleurs parce que l’eau était souillée. Et pourtant ils adoraient faire le touriste à cet endroit. Les hirondelles3 qui faisaient la pluie et le beau temps de tout le peuple s’étaient réfugiés dans un silence de cimetière.

Il était interdit de sortir son nez dehors. Quand il était long on l’aplatissait et quand il était aplati on l’allongeait. C’était la raison pour laquelle personne ne sortait chercher les haricots pour les enfants ou de l’herbe pour les lapins. Tout le monde avait peur de l’inconnu. On ne savait pas si une machette, une serpette, une houe, une balle perdue d’une mitrailleuse ou une kalachnikov bien garnie allaient nous accueillir à la sortie.

Ma terre-mère était en feu. Le voisin pleurait. Mais on ne pouvait voir ses larmes qui s’asséchaient aussitôt grâce la chaleur que dégageait le feu. La fumée épaisse aveuglait tout le monde au point qu’aujourd’hui personne ne peut raconter avec exactitude ce qui est arrivé au voisin. « Il a disparu dans la fumée, emporté par les évènements. » Les rivières en sang et pleines de cadavres avaient fait le bonheur des poissons et des crocodiles. Elles offraient un paysage apocalyptique du pays. Gustave, le géant crocodile, et sérieux témoin n’est plus pour passer à la barre. Comme lui, des témoins et certains ogres disparaissent sous le poids de l’âge. Ils ne viendront jamais nous dire combien de vies, ils ont ôtées…

1 Littéralement c’est le père des Burundais. Le chef de l’État.
2 Des jeeps militaires.
3 le surnom de l’équipe nationale du Burundi

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