Alain Amrah Horutanga

L’Afrique qui déchante, l’Afrique des Grands Lacs

On pouvait espérer mieux pour nos « bébés démocraties », mais ils sont morts presque dès leur naissance. Les seigneurs qui dirigent notre contrée en ont décidé autrement. L’immaturité politique de certains gouvernants serait-elle à la base de ces décès ? Pendant que la mayonnaise prenait, ils étranglaient chaque bébé avec son propre cordon ombilical : la Constitution.

Nos seigneurs sont intelligents même quand ils ne le sont pas, ils sont entourés d’hommes intelligents. Ils mettent sur pied une panoplie de stratégies pour justifier la macabre démarche. Certains ont échoué. Mais leurs espoirs ne se sont pas pour autant estompés. Il y avait au départ une brèche. Prévue ? Cette brèche est une sorte de plan B qu’il faut forcer, agrandir parce qu’il débouchera sur la même voie que l’autre, un troisième mandat. En attendant la réforme constitutionnelle pour l’éternité.

D’autres encore, sans scrupules, crient à haute voix même à ceux qui ne veulent pas les entendre que la Constitution en vigueur ne répond plus aux besoins actuels, qu’elle a été maintes fois violée et qu’elle est issue de la belligérance. Il y a une Constitution adaptée pour la paix et une autre pendant la guerre, si on devait s’en tenir à cette analyse aussi superficielle que ridicule. Enfin un bon travail pour cet intellectuel. Ces conseillers savent tourner leurs méninges pour le « peuple ». Joli boulot n’est-ce pas ?

Il y a aussi ceux qui se taisent. Ceux qui n’ont pas besoin de provoquer la population en mesurant sa tension. Ceux qui ne peuvent pas se soucier de la réaction du peuple moins encore celle de l’opposition. Ceux qui n’ont pas besoin de savoir si la tension monterait ou descendrait. Ce peuple sait depuis longtemps qu’il n’y a tout simplement pas de successeur pour le chef. Dans ce pays-là c’est « ce que chef veut, peuple veut et Dieu approuve. » La volonté du chef c’est la volonté du peuple. C’est le pouvoir du chef pour le peuple.

La région des Grands Lacs est certainement celle où on n’apprend rien de l’histoire. J’ai l’impression de vivre un cauchemar qui se situe autour des années 90. Les mêmes démons refont surface (opposition muselée ou forcée à l’exil. Activistes emprisonnés, intimidés ou assassinés). Certaines histoires paraissent comme tirées d’une fiction. L’originalité est que ceux qui luttaient contre les pouvoirs autoritaires dans les années 90 sont apparemment atteints du même virus que les « dictateurs  » d’hier et qu’en plus de ce virus un symptôme les caractérise, l’amnésie.

La sagesse populaire nous apprend que les mêmes maux produisent les mêmes effets ! Faisons attention oh! On peut changer de Constitution au Burkina Faso, forcer un troisième mandat au Sénégal, mais le faire dans la région remettrait à néant tous les acquis, surtout la fragile paix qui semble régner.

Hé mon Dieu, Tu as des sérieux concurrents. Si seulement Tu délègues Ton pouvoir, comme Tu l’as fait pour Tes prophètes à l’un d’eux, il Te déposera du trône.


Ma vendeuse de fruits

 

Elles ont choisi de rester après l’incendie du marché central de Bujumbura. Elles; ce sont certaines femmes, généralement vendeuses des fruits et légumes, qui ont continué à exercer leur métier aux alentours de cet ancien marché.

La police qui use parfois de la violence ne leur fait pas de cadeau, elle détruit tout à son passage. Mais celles qui parviennent à échapper avec leurs marchandises jouent, avec la police tout le long de la journée, « au chat et à la souris ».

Avec un capital de moins de 20 000 francs burundais (moins de 10 euros), elles se lèvent très tôt (4 h du matin), pour aller se procurer les fruits ou légumes à 50 voire 80 kilomètres de Bujumbura. Ensuite elles reviennent les écouler au centre-ville. Elles n’hésitent pas à braver la police. Toutes les histoires autour d’elles sont extraordinaires. Le courage et la persévérance de ces femmes m’avaient inspiré un texte. En voici un extrait.

Elle se lève très tôt le matin défiant le sommeil,
Se hâtant d’arriver à destination avant le soleil.
Elle court perdant ses gracieuses formes.
Mourir ou survivre, elle connait par cœur, la norme.

Elle gagne toujours ses courses.
Quand la police la pourchasse, elle fonce.
Elle sprinte atteignant vitesse de la lumière.
Même Usain Bolt ne fera pas le poids, lui l’homme éclair.

 


Lamentations

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Ce petit texte est dédié à tous ceux qui vivent d’une manière ou d’une autre les injustices sur cette terre des hommes. Ce n’est pas une malédiction proférée à nos bourreaux. C’est juste ce genre de paroles qui nous viennent à l’instant T quand une injustice se commet à notre égard ou à l’égard de nos semblables et qu’elle touche notre sensibilité.

Mon sang refroidira ce bitume chaud.

Celui-là même qui a épuisé les dernières forces de mes tripes.

Qui sont ceux qui ont mordu aux fruits de mon labeur ?

Ma sueur s’évaporera,

S’envolera telle une fumée,

Bravera la pesanteur,

S’élèvera au-dessus de leurs têtes,

Formera un nuage gris,

Suivra une pluie de grêles

Qui détruira tout ce qu’ils possèdent.

Pourquoi vous êtes-vous nourris de mon blé ?

Les fruits de mon labeur volés,

Croyiez-vous étancher votre soif de nuire ?

Chacun de ces fruits assèchera davantage vos gorges,

Troublera votre semblant de quiétude,

Bouchera vos veines,

Ensuite vous étouffera.

En dernier ressort,

Vous prononcerez mon nom

 En guise d’adieu.

 


Antoine Gakeme et son parcours

Spécialiste du 800m, Antoine Gakeme est aujourd’hui la figure masculine sur qui reposent les espoirs de tout un pays. Antoine 2

Classé 10ème aux derniers Championnats du Monde d’athlétisme à Moscou en Russie, Antoine compte marquer les esprits cette année aux 19èmes Championnats d’Afrique d’Athlétisme qui se tiendront du 10 au 14 aout à Marrakech, au Maroc.  « À défaut d’une médaille, j’améliorerai mon chrono. Je m’entraine durement  pour qu’on joue le Burundi Bwacu (l’hymne nationale du Burundi) au Maroc. »

Natif de Musongati dans la province de Rutana, Antoine porte déjà très tôt le nom d’un des plus grands athlètes burundais « Comme un présage, on me surnommait déjà Nkazamyampi, à l’école primaire ! » Cet athlète hors pair voit en son ancien directeur du lycée Nzosaba Clément qui fut aussi son entraineur, son véritable mentor « il a été le premier qui a cru en moi. »

Ses débuts et son ascension

Il se fait remarquer pour la première fois en une compétition nationale en 2008 où il représentera Gitega lors des championnats nationaux d’athlétisme inter-scolaire. Il obtiendra la 2ème place sur 800m. Une place synonyme de qualification pour les championnats d’athlétisme inter-scolaire de la Communauté Est-Africaine organisés au Rwanda. Il échouera au pied du podium « j’avais quand même amélioré mon chrono de deux secondes passant de 1’ 55’’ à  1’ 53’’ », reconnaissant que la qualité de la piste y était pour quelque chose dans sa performance.

C’est lors de sa participation à l’édition suivante des mêmes championnats inter-scolaires  qu’il intéressera le club de la police nationale, Rukinzo. Remportant au passage la finale du 800 m. C’est le début de l’ascension jusqu’à faire sensation à Moscou aux derniers mondiaux. A Moscou, il bat ses records personnels à chacune de ses sorties mais au prix des contrôles anti-dopage intempestifs.  « Les journalistes du monde entier voulait me voir, il voulait savoir où je m’entrainais et j’étais tout le temps contrôlé » , renchérit l’homme qui prend pour idole, Vénuste Niyongabo. Il quittera Gitega pour s’installer à Bujumbura où il sera pris en charge par Rukinzo pour intégrer plus tard Muzinga, le club de militaire.

Le foot fut, dès ses premières années, son sport favori. « Quand j’avais le ballon je courais droit au but  mais j’avoue qu’on me reprochait souvent de laisser le ballon derrière à cause de ma vitesse de course », esquissant un sourire dont il détient le secret. Il a depuis définitivement mis une croix à la pratique du foot après une blessure qui a failli lui couter son bassin.

Antoine, l’officier militaire, l’étudiant et l’athlète

Il est dit qu’on ne peut pas poursuivre deux lièvres à la fois mais Gakeme est une exception à cette règle et il fait mieux. Il poursuit trois lièvres. Antoine est un officier militaire en formation à l’institut supérieur des cadres militaires mais il est aussi étudiant à l’université du Burundi  « J’ai validé mon premier semestre et j’attends les résultats du second semestre. Tout cela au prix des compétitions internationales que j’ai annulé.»

Quand il est question des choix, Antoine sait faire la part des choses. En 2012, il décide d’annuler sa participation aux 18èmes  Championnats d’Afrique d’athlétisme à Porto-Novo au Bénin. La formation militaire intensive l’avait épuisé  « J’avais des blessures partout. J’avais préféré passer toute l’année au repos sans compétitions ni entrainements.»

Les hauts et les bats

L’homme c’est aussi son histoire. Très  largement satisfait de son parcours, Gakeme a connu des périodes noires. « J’ai deux grands regrets. Mon premier c’est en rapport avec les jeux Africains à Maputo en 2011  au Mozambique* alors que je m’entrainais trois fois par jour. Mon deuxième regret est ma crise de malaria à Nice lors des jeux de la francophonie.»

Son meilleur souvenir reste sa performance à Moscou aux mondiaux d’athlétisme. « Je suis arrivé en étant le dernier. J’étais le 56ème sur 56 compétiteurs  et  j’avais frôlé la qualification pour finale en finissant 10ème.» Mais sa plus grande sensation émotionnelle fut le jour où il lui avait été remis, pour la première fois, des équipements aux couleurs nationales.

Lors de sa deuxième participation aux championnats nationaux inter-scolaire, le bus qui ramenait les athlètes de Gitega pour Bujumbura avait connu un accident. Tous les autres athlètes étaient blessés et avaient déclaré forfait, sauf lui. Il remportera la première place de la finale du 800 m. « Pour moi, il ne fallait partir sans remplir son devoir et il fallait réconforter mes amis par une participation. Gloire à Dieu, la victoire était au bout.»

 

*Le Burundi avait déclaré forfait pour Maputo.

 

 


Des prisonniers en ville

Un policier et son prisonnier à Bujumbura
Un policier et son prisonnier à Bujumbura

Il n’est pas rare, à Bujumbura, de faire une rencontre inattendue avec des hommes en vert. Il est possible d’apercevoir le contraste des bleus (policier burundais) à côté des verts (couleur de la tenue des prisonniers) tout le long d’une journée. Cette catégorie de personnes n’est pas celle qui arbore volontairement le vert dit de la « honte » tous les vendredis en soutien à l’activiste burundais des droits de l’homme, Pierre Claver Mbonimpa. Cette catégorie de personnes est celle qui purge des peines de servitudes pénales. Ce sont des prisonniers en provenance de la célébrissime prison de Mpimba à Bujumbura. La plupart d’entre eux se rendent auprès des médecins pour une consultation ou pour des soins curatifs d’une quelconque maladie.

Ce défilé des prisonniers les longs des principales artères de la capitale ne semble visiblement pas inquiéter les habitants de Bujumbura. Pour certains, il s’agirait de détenus en fin de peine. Pour d’autres encore, ces hommes en vert ne représentent aucun danger du fait que la plupart d’entre eux ont commis de petits crimes, voire des délits. On constate que ces prisonniers sont légèrement accompagnés. Un seul policier est commis à la sécurité ou la surveillance d’un prisonnier. Ces prisonniers se permettent de saluer des amis sur leur passage sans problème.

Ville de Bujumbura
Ville de Bujumbura

Quelques questions peuvent être posées. Ne pourraient-ils un jour pas envisager des évasions à la suite de ces sorties ? Quel est réellement le niveau de dangerosité que représentent ces prisonniers ? À ces questions aucune réponse. Mieux vaut se taire en ce temps où le vert n’est pas le bienvenu et pourtant c’est une des couleurs du drapeau national.

 

#Vendredivert


Le mendiant

J’arbore les couleurs de la misère. C’est le blanc qui devient brun à force d’embrasser la poussière. Une poussière soulevée par les voitures, par des promeneurs dont certains secouent la terre pour un but, maintenir la bonne santé. Pendant que moi je la détruis en parcourant des kilomètres à la ronde, à la recherche d’un but. Que mon estomac joue son rôle. Que mon cœur continue à battre. Que je profite de la fraîcheur du Tanganyika tant qu’à certains endroits, les indésirables comme moi y ont encore accès. Que je profite de la gratuité des rayons de soleil. Que j’entende au loin les tambours battre. Que j’applaudisse à chaque passage du président. Bref, que je feigne de vivre.

J’arbore ce brun de la misère, celui de la poussière dont certains s’en débarrassent aussitôt le matin venu, avec une eau claire et propre pour leurs voitures ou d’un coup de brosse avec un peu cirage pour faire briller leurs souliers. Moi je trempe mes couleurs dans ces rivières boueuses : la Kanyosha, la Muha, la Ntahangwa.

Je serpente les sentiers du quotidien sans laisser de trace tel un oiseau dans le ciel. Je passe inaperçu et pourtant je passe tous les jours au même endroit où je reproduis les mêmes gestes pour qu’un regard me fixe, pour qu’un sourire croise mon front où est écrit « voici le fils de la misère ».

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Le monde me rend invisible parce que personne ne veut me voir salir leurs trottoirs, polluer l’air qu’il respire parce que je transpire la souffrance. Je pleure toujours en silence.
Des insolentes larmes brouillent ma vue. J’ai peur d’avancer au risque d’effleurer cet enfant si propre à qui sa mère demande d’avancer rapidement parce que je pue tous les vices. Parce que, pour eux, je ne suis qu’un petit voleur.

Ma voix ne se vend pas à prix d’or :

– « Msaada»*

« Kingorongoro »* ma récompense. Je vous chante tous les jours l’hymne de ma nation, de ma patrie : « Ndashonje »*.

 

*Msaada : aide (swahili)

*Kingorongoro : piece de monnaie (kirundi)

*Ndashonje : J’ai faim (kirundi)