Alain Amrah Horutanga

Il nous faut un dictionnaire politique

Au nom de quel peuple parle-t-on ? Quand certains voient les morts, d’autres voient les vivants. En politique, c’est difficile de comprendre le jeu qui se joue, les mots employés, les hyperboles, les euphémismes, les litotes, etc. Il nous faut donc un dictionnaire politique afin d’éviter le pire. Les mots en politique n’ont forcément pas les mêmes sens que chez le commun des mortels. Nous vivons déjà dans deux mondes parallèles. Ce qui se dit n’est souvent pas ce que l’on fait.

Après deux mois de contestation sur fond de violence et de semblant de front commun contre la 3e candidature de Pierre Nkurunziza, il faut avouer que l’opposition politique, une partie de la société civile et une partie de l’armée (putschiste du 13 mai) ont échoué à faire partir Pierre Nkurunziza par tous les moyens. Il a enfin obtenu ce mandat, son troisième. On en reparlera en 2020 ? Si le mouvement armé se déclarant « libérateur » n’y arrive pas. Déjà au lendemain des élections de 2010, un autre mouvement de « restauration de la démocratie » voyait le jour. Que sont devenus les leaders ? Je n’en sais rien.

La mise en place de la nouvelle Assemblée nationale au Burundi n’avait laissé personne indifférent. Au petit matin du 27 juillet, le principal opposant du président Nkurunziza, Agathon Rwasa, élu de la circonscription de Ngozi lors de la dernière législative avait appelé au boycott des élections et n’a ensuite pas reconnu les résultats. Il a toutefois avait siégé au Parlement avec ses sympathisants aussi élus lors de la dernière législative. Actuellement, il est vice-président de l’Assemblée nationale. Il était candidat indépendant à la présidentielle pour le compte de la coalition « Amizero y’Abarundi » (littéralement l’espoir des Burundais), une coalition des extrêmes avant tout.

Une coalition qui vole en éclats ?

On avait déjà observé des dissensions au sein de cette coalition à l’hémicycle de Kigobe. Deux camps se dessinent : ceux qui doivent honorer les manifestants morts pour ne pas siéger et ceux qui ne veulent pas décevoir ceux qui les ont élus. Tous issus de la même mouvance.

« Des Burundais ont été élus la Coalition Amizero y’Abarundi. Il ne faut pas les décevoir, ils peuvent être récupérés par d’autres formations politiques. Il faut que notre voix soit entendue à l’Assemblée nationale même si nos propositions peuvent être rejetées », déclare Agathon Rwassa.

Quand je dis que les mots des politiciens sont difficilement accessibles, il faut le croire. Des élections qu’on ne reconnait pas, des élections auxquelles ils n’ont pas participé… Comment cela est-il possible de siéger ? Je suis perdu. Et quand l’autre camp, de cette même coalition, joue avec la carte « compassion » ma petite intelligence me dit que je suis sonné. Sachant qu’en 2010, des Burundais perdaient la vie et étaient persécutés par les mêmes personnes, ceux-là mêmes qui refusent de participer aujourd’hui dans les institutions de l’Etat l’avaient pourtant fait en 2010. Alors là, le ridicule n’existe pas. En ce temps-là, Agathon Rwasa et son parti avaient boycotté ces élections comme une grande majorité de l’opposition. Sérieusement, Amizero y’Abarundi ?


La peur comme solution à l’absence des projets de société?

Au Burundi, les rumeurs qui annoncent l’enfer sur ses terres ne cessent d’enfler sur les réseaux sociaux. L’application de messagerie Whatsapp devient une voie où toute sorte de mise en garde, terrifiantes les unes des autres, abondent en grand nombre. Il y a certainement des gens qui veulent voir le pays à l’agonie. Certains médias attisent sur cette flamme. Les conséquences ne se font pas attendre : les déplacements massifs de certains citoyens dans les pays voisins, au Rwanda notamment.

Tous les ingrédients sont réunis pour perdre le bon sens et surtout celui de la critique. L’université du Burundi, lieu hautement intellectuel, n’en est pas épargnée. Les étudiants ne veulent pas voir des policiers au sein de l’université. La cause un media de la place faisait état d’un plan macabre : éliminer physiquement tout opposant au troisième mandat du Président Nkurunziza, d’où qu’il soit, même au sein de la seule université publique du pays (selon leur source). Et si la présence de cette police était plutôt justifiée pour anticiper à une éventuelle attaque des islamistes d’Al Shebab qui menace le Burundi présent en Somalie ? Garissa devrait nous servir de leçon.

Du président qui fuirait le pays en pleine nuit, des généraux opposés au troisième mandat de Nkurunziza tués sur Facebook, des manifestations instantanées çà et là et du coup réprimés dans le sang, des armes retrouvées chez untel ou untel autre, le cocktail est à la fois explosif et difficile à passer si on garde le bon sens. Non, ce n’est pas l’effet poisson d’avril qui se prolonge, elle a plutôt commencé tôt, si c’est le cas. Toute l’année 2015 pourrait être un gros poisson d’avril pour le Burundi, attendons voir.

La peur qui nous hante, nous gouverne en même temps. On agit prudemment. On se méfie du voisin à cause de ses fréquentations, ses agissements, ses dernières sorties et quelque fois de son appartenance ethnique. Voilà ce dernier point qui nous renvoie aux années sombres de notre histoire déjà écrite à l’encre rouge sur une feuille noire. Impossible de la lire aux nouvelles générations. Eh oui, c’est vraiment une question de génération.

Nous revoilà à quelques jours des élections, aucun projet de société sous nos yeux, ni dans nos mains. C’est un leurre peut-être, et d’ailleurs comme la plupart des intellos de Bujumbura, de croire que les Burundais votent majoritairement les projets les mieux adaptés et réalistes qui leur sont présentés. Non, chacun a déjà, dans sa tête, fait le choix. Mais entre-temps le seul projet de société que nous offrent nos leaders ou nos politiques est unique, inique et identique, la peur, la terreur dans tous ses états. Prions !


Au rythme du pays

La dérision est aussi un autre mode de survie. Dans notre quotidien, l’évocation des problèmes d’un pays avec sourire aux lèvres n’est devenue que chose banale .

Tout comme la mort qui est venue se greffer aux côtés de nos nombreux problèmes depuis des lustres, la dérision nous habite. Tant qu’y a la vie, nous continuerons à se moquer d’elle. Ce qui ne tue pas nous rend fort, dit-on. Mais la dérision, elle, nous rend invincibles. Vous avez surement constaté que l’Africain malgré les mauvaises passes, manie toujours bien l’art du rire et de la parole ironique. Quand bien même rien ne va, il affirmera que « tout va bien ». Pour le constater, il suffit de vous rendre dans un hôpital par exemple, voir un patient sous perfusion, souffrant de la malaria parce que son quartier est une fabrique à moustique et que le chef de son quartier a vendu les moustiquaires qui étaient destinées à ses administrés, vous dire à la fin « tout va bien. »

Est encore plus symbolique, son optimiste : « tout finira par s’arranger. » Que le ciel soit nuageux, grisaillé, son optimisme n’a pas d’égal à première vue. C’est de l’ironie à l’état pur et à la sauce pimentée par un discours politique toujours rassurant qui a fini par avoir des effets sur nous, la population. Intériorisé involontairement, ce discours passe en boucle et est devenu presque une salutation et cela à nos dépens.

Les mots changent de sens

Les mots usités des citoyens au quotidien n’ont pas toujours le même sens quand ils sont employés par les politiques. En République Démocratique du Congo par exemple, le mot « politique » usité par un citoyen ordinaire peut être synonyme de mensonge ou de promesse non tenue.

La conception de la politique a changé chez certaines personnes au point de devenir l’art du mensonge. Il se peut que vous vous perdiez dans une conversation congolaise et pourquoi pas burundaise, tant qu’on y est, parce que quelqu’un aurait dit « la politique est l’art du mensonge. » La politique a perdu sa définition de noblesse « l’art de gouverner ». Si la gouvernance et le mensonge font bon ménage, alors pourquoi les dissocier ? Elles ont les mêmes effets après tout.

Aujourd’hui, je constate un fait. Dans cette jeunesse qui se cherche une place au soleil malgré les promesses non tenues des politiques, la résignation semble prendre le dessus. J’ai entendu trois personnes différentes prononcer cette phrase : « je vais bien au rythme du pays.» Et cela, après avoir demandé comment elles allaient. Aller bien au rythme du pays, signifie tout simplement que ça ne va pas.


O tempora, o mores

Il existe des entretiens qui fixent ta bouche ouverte tel un hippopotame qui bâille.

Il y a quelques mois, j’ai fait une brève rencontre avec un monsieur « responsable » comme on le dit pour tout père de famille. C’était un samedi, après l’hebdomadaire travail communautaire. Samedi est aussi ce jour où certaines personnes s’adonnent aux activités sportives dans l’avant midi pour maintenir leur forme ou encore évacuer quelques gouttes résistantes d’alcool dans leur sang. Un après-vendredi, jour de dot.

Les sièges de la place de l’indépendance (mon lieu de rendez-vous), étaient presque tous occupés par des groupements sportifs, sauf un. A cet endroit, les branches d’un gros arbre faisaient ombrage au soleil. Un lieu idéal pour souffler. Je venais de parcourir mes dix kilomètres en joggant sous un soleil de plomb.

« Bonjour », le saluais-je chaleureusement à la Burundaise : une poignée de main virile. Je m’asseyais confortablement à côté de lui profitant de l’ombre créée par l’arbre au-dessus de ma tête. Intrigué par la nature qui était à la fois douce et clémente en ce lieu lieux, dure et pénible au-delà de l’ombre, je scrutais les notifications Facebook, Twitter. L’homme en tenue de sport également, lançait la conversation : « Vous n’êtes pas un Burundais ? » Et moi, j’étais surpris par ce vouvoiement.

Cette question résonne presque tous les jours dans mes oreilles parce que j’ai l’habitude de saluer les gens en Français. Chose incompréhensive quand on est Burundais. Malgré ma poignée de main virile à la burundaise, la langue m’a trahi pour me pousser à une longue explication afin de justifier ma « Burundité ». Habitué à cette question depuis maintenant huit ans, je vis avec comme ma deuxième identité. La réponse était la même : Longue. Je vous en épargne. Satisfait des explications, il profitait pour se lancer dans un slalom des questions. « Attendez-vous quelqu’une ? C’est une Burundaise ? Tu sais qu’elles (Burundaises) sont toujours en retard ?

Malgré mes innombrables refus de la tête, il reformula sa question autrement mais qui allait dans le même sens me rassurant surtout qu’il n’y avait pas de honte à avoir, j’étais devant un responsable et père de famille (entendez par là une conversation entre père et fils). Selon lui, j’étais jeune et j’avais bien le droit d’avoir des petites amies. « Alors, c’est une fille que tu attends ? Elle est en retard, je constate » ; Ses yeux rivés sur mon téléphone qui venait alors de sonner. Un SMS. « J’attends plutôt un groupe de personnes », lui répondais-je.

Mais il insistait et son insistance s’apparentait à une torture parce que j’eus fini par lui dire ce qu’il n’était pas censé savoir : « Elle ne vit pas ici. » tout en indiquant dans ma tonalité que je ne voulais pas parler de cela. Mais il s’obstinait et voulait à tout prix avoir la réponse à laquelle il s’attendait.

-Tu peux toujours avoir une autre. C’est d’ailleurs une belle occasion qu’elle soit actuellement loin de toi. Elle ne saura rien de ce qui se passe ici.

J’avais envie de lui dire : « oui monsieur, j’en ai trois autres d’ailleurs » pour qu’il me laisse tranquille mais il enchaina avec son exemple :

– Moi, je suis marié et ça ne m’empêche pas d’avoir une autre en dehors du mariage mais je le fais sans que ma femme ne le sache.

Surpris de voir avec quelle aisance il s’exprimait, l’enfant devant lui que j’étais, regrettais le temps où tout ainé était un éducateur, un bon conseiller perpétuant des valeurs. Que fait-il de son devoir de fidélité ? Comment un père de famille pouvait tenir de tels propos à son fils? Je voulais aussi à mon tour lui demander s’il avait une fille dans sa famille, lui demander sa main pour avoir un droit à l’infidélité mais il me restait encore un brin de respect envers sa personne.


Territoire occupé (revisité par une lectrice)

Minuit,

Les étoiles prenaient congé. Je plongeais nuitamment dans les profondeurs de son cœur où j’allais, comme un voleur, m’accaparer de la plus grande richesse qu’il possède, l’amour. J’avais peur que les étoiles filantes ne me poursuivent et me rattrapent sur la route de ma nouvelle aventure. Mes yeux trahissant mes envies de conquête brilleront de mille et une couleurs rendant l’arc-en-ciel jaloux.

Plume à l'eauSon cœur perdu et casé dans les ténèbres du doute ne pouvait être accueillant. Comment forcer la barrière d’épines où des vaillants conquérants avaient échoué ?

La lune qui lui tenait compagnie était au service du chagrin et des regrets. Par complicité, le vent lui soufflait aux oreilles une mélodieuse oraison qui l’écartait du champ magnétique de l’amour.

J’emmenais avec moi une cohorte de mots et de gestes. J’étais le poète à la recherche du bonheur et son cœur en était le passage obligé. Sur le côté de mon arme, ma plume, on pouvait lire : J’entrerai, je bloquerai toutes les issues et j’écrirai en lettres d’or « territoire occupé ! »

Insatiable lectrice

Ces mots, j’aurais voulu les graver dans son cœur pour que plus jamais il ne batte pour une autre personne que moi. Que son cœur, son front, que ses yeux, le bonheur que j’y inscris reflète ces mots : territoire occupé.

Son cœur, son bonheur, mon appartenance à elle, son appartenance à moi, ne vous regardent en rien. Notre amour est hors du droit, hors de vos limites, de mon patriarcat et de votre féminisme.

Je suis elle, elle est moi. C’est ma vie qu’elle vit quand elle rit. Elle touche mon cœur : « ici c’est chez moi », murmure-t-elle. Je touche délicatement son sein : « ici c’est chez moi » répondis-je, ému.


Le pape devient-il un homme ordinaire ?

Les récents attentats en France ont ouvert la voie à une polémique sur l’étendue ou plutôt sur les limites du droit à la liberté d’expression. Toutes les tendances religieuses confondues sont divisées entre le droit de blasphémer ou pas. Il faut rappeler que la plupart des États du monde sont laïcs.

La dernière sortie médiatique du pape François fera tâche. Son prédécesseur, le pape Benoit XVI avait reçu des vives critiques après ses déclarations sur les préservatifs qui lui a presque valu sa démission (évènement très rare).

Sa Sainteté, apôtre de Pierre, dans sa sortie médiatique, semble cautionner la violence en insinuant par un exemple : « si un grand ami parle mal de ma mère, il peut s’attendre à un coup de poing, et c’est normal. On ne peut provoquer, on ne peut insulter la foi des autres, on ne peut la tourner en dérision!»

Le premier acte (parler mal de sa mère) n’est pas physique mais il renvoie à une vengeance faisant appel à la violence physique (s’en prendre à l’autre par coup de poing). Si on doit appliquer la loi du talion je trouve que l’offense, s’il y a lieu, n’est pas équivalente à la sentence. Que faut-il comprendre ? Quand on sait que les caricaturistes (blasphémateurs) n’avaient qu’un crayon et les assaillants, la kalachnikov. Il a par ailleurs reconnu que nul ne peut tuer au nom de Dieu.

Le pape a réagi comme un humain

On peut aussi le pardonner du fait que de son discours ait été tenu en dehors de l’église (en avion) car selon la Bible, Jésus a proscrit la vengeance. Je prends les propos de Jésus, rapportés par l’évangile. Matthieu 5, 38-40. « Vous avez entendu qu’il a été dit : Œil pour œil, dent pour dent. 39 Mais moi je vous dis de ne pas résister au méchant. Si quelqu’un te frappe sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre. 40 Si quelqu’un veut te traîner en justice, et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau. »

Une bourde de plus ?

Cette vengeance que semble cautionner le pape en trouvant normal la réaction, en pareil cas, n’est pas proportionnelle. Elle est encore plus dangereuse que le « Œil pour œil, dent pour dent ». Car cette loi du talion a le mérite de répondre à l’acte provocateur ou offensant par un acte de vengeance de même nature et de même valeur.

N.B. Il fallait une condamnation (une sentence) pour que s’applique la loi du talion

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